Raison garder ? Raison reprendre

Habitat Junior Open partners

Pourra-t-on reprendre langue, dans nos métiers d’entrepreneurs, comme on reprend son souffle – c’est-à-dire, nous adresser à nouveau la parole, relancer la réflexion et la discussion, et tout cela, dans un but qui ne sera pas seulement économique, qui ne sera pas seulement la tentative de remonter « en V » plutôt qu’en « U » comme on l’entend dans nos milieux ?

Pourra-t-on reprendre le chemin du travail, de l’atelier, du worshop, de l’espace modulable, de quelque façon qu’on le nomme, sans qu’il soit seulement question de distanciation sociale et de mesures-barrières ?

C’est peut-être ce que tout le monde souhaite, mais, si nous nous autorisons cette lourdeur, ce n’est peut-être pas ce que tout le monde souhaite.

Ce qu’il y a de particulier dans la catastrophe, à en croire Boris Cyrulnik, c’est qu’à la différence de la crise, le retour à la situation initiale est impossible, parce qu’il y a eu un pivotement; dès lors, il convient de se préparer à un « nouveau monde », certainement pas plus aisé à vivre que le précédent, mais avec lequel la raison commande, ainsi que la liberté (dont Sartre disait qu’elle était toujours infinie et qu’ôter une liberté, c’était toujours en créer une autre), d’affronter, de réinventer, de repeupler, de réhumaniser encore et toujours.

Rares sont les métiers où les enjeux pour la vie humaine sont plus cruciaux que les nôtres, que les métiers de la construction et de l’immobilier. Certains croient qu’il s’agit de béton ou de pierre. Ils ont tort. Quand on moule le béton, quand on sculpte la pierre, on ménage un abri pour l’homme. Toute notre aventure d’entrepreneurs de l’immobilier est une variation de la grotte de Lascaux. Or la grotte de Lascaux, qu’est-ce que c’est ? C’est un abri pour des chasseurs, mais c’est aussi un lieu de ferveur, et même un lieu de génie, où l’extraordinaire beauté de l’homme, aujourd’hui si souvent conspuée, invente l’éternité.

Nous lisions, chez Open Partners (de part et d’autre de nos écrans, bien sûr) tel article de grand quotidien du soir qui s’empressait de montrer que les bureaux nouveaux vont faire la part belle à la distanciation sociale.

Nous, chez Open Partners, avons été choqués par ce discours prophylactique, comme s’il fallait traiter les hommes, ex abrupto, comme des agents de contamination.   

Il n’est pas question d’inventer un projet immobilier qui ne soit pas en faveur de l’homme, au nom de l’homme, voulu pour l’homme.

De la même façon que notre travail sur l’amélioration de l’espace, dans les résidences étudiantes, et que notre réflexion constante sur les parties communes, n’ont recherché dans leurs tâtonnements que le bien des habitants, souvent fragilisés par leur première expérience de vie « autonome », le « bien » et pas seulement, comme le dit trop souvent, le « beau » (ainsi dit-on désormais « belle journée » au lieu de « bonne journée », comme si l’esthétique, le cosmétique devenaient plus importants que le bien et le bon) – de même, l’adaptation de notre action à l’après-Covid 19 ne doit pas céder sur cette exigence. Gérer les hommes comme des virus, comme des présences gênantes ou contaminantes, et faire passer cet état d’exception à l’état de norme, voilà ce que, dans notre métier, nous devrons combattre.

Mais que cette crise, en revanche, nous détermine à offrir plus d’espace, à encore avancer dans le bien-être et le bien-vivre qui ne seront jamais remplacé par un bel-être et un bel-vivre, ni non plus par un cheap-être, c’est sûrement ce qui nous attend. Parce que l’homme n’en a pas fini avec la vie sociale, et ce serait une folie de croire ou, pire encore, de vouloir cela.

Nous allons bâtir, parce que c’est la grandeur de l’homme. Nous allons mieux bâtir, mieux aider à vivre. Et nous ne céderons pas à la déraison qui, dans toutes les couches sociales et professionnelles, a fait entendre sa voix à la fois dangereuse et enivrante, parce qu’elle se repaît des ruines et des effondrements.

C’est cela, d’abord, un immeuble. Quelque chose qui tient, quelque chose qui dure et qui promet un avenir.

A la semaine prochaine.

Laurent Strichard  &  Yves Crochet | Open Partners

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